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Léa ou la beauté en mille morceaux de Joubert Joseph : ce qu'il faut en retenir


Je réfléchissais sur la nécessité de redéfinir notre rapport à la poésie quand j’ai reçu la plaquette poétique de Joubert. Un moment où je pensais que je devrais dire quelque chose sur notre vision de la poésie. De dire qu’il faut modifier notre façon d’aborder la poésie. De changer notre itinéraire, car on se perd quand il faut parler au nom de cette chose qu’on croit trop bien comprendre jusqu’à ne plus savoir quoi dire et devenir ridicule. Que ce livre nous serve de guide, de prétexte peut-être, pour notre proposition de re-lecture. Une lecture entre les lignes de Léa où la beauté foisonne. Qu’on la recueille en mille morceaux.

Le titre fait parfois problème chez certains auteurs. On dit qu’il faut d’abord trouver un bon titre. Dany Laferrière se tracassait souvent pour dénicher un titre qui serait « vendable ». D’autres écrivains attendent un bon titre avant de commencer à écrire les premiers mots qui sont souvent mauvais. On peut être un bon auteur avec un mauvais titre et souvent un mauvais auteur avec un beau titre. Les deux, un bon titre et un bon auteur ne sont pas faciles à trouver. Des titres comme Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (Dany), Cent ans de solitude (Gabriel G. Marquez), Le testament des solitudes (E. Prohète), Quartiers d’Oublis (E. Jacquet), Le mur blanc de ton nombril (Snayder), Gouyad Legede (I. Jeudi) ont pu retenir l’attention, du moins la mienne. Revenons au titre : Léa ou la beauté en mille morceaux. Qu’il fait beau de ramasser des parcelles de beauté. Le titre évoque le sens poétique chez le lecteur attentionné. Des lecteurs préfèrent se fier aux titres. N’en déplaise à personne.

L’amour dans le poème

On ne badine pas plus avec la poésie qu’avec l’amour, disait Guy Laraque dans son livre « Sur la poésie », mais c’est un thème souvent traité et il devient parfois redondant. Il faut absolument faire preuve de dextérité, d’originalité pour arriver à produire quelque chose de valable en abordant ce sujet. Orcel a retenu mon attention en ce sens. Castera avec son vers « Aime-moi/comme une maison qui brûle» a fait de même. Tout poète débutant se livre à la conquête d’un être qu’il se voit en train d’offrir des fleurs, de se perdre dans une déclaration maladroite. Bref, l’amour chez Davertige a été un lac sanguinolent. Ce même sentiment prend la forme d’une invocation-invitation chez Joubert Joseph. Il y a la mer et le corps. La mer qui appelle le corps et le corps qui vient à la mer, qui parle mieux que tous les mots souvent insuffisants.

«Il y a ton corps
Il y a le mien
J’invite la mer
À notre rencontre
Pour laver nos blessures»

Ça ne suffit pas pour dire je t’aime. La simplicité n’est pas du domaine du poète. Il faut toujours dire autrement et sans cesse recourir à la nouveauté, sans devenir ridicule à la fin, sans lasser l’autre, sans donner l’impression d’avoir déjà entendu quelque part. Une déclaration qui est plus que ce qu’on croit.

«Tu es fleur
Tu es poème
Tu es la fleur du poème
Et le poème dédié
À la fleur»

A-t-on jamais fait don de soi ? Je ne parle du mythe du Christ. J’aurais aimé m’entendre dire cette phrase : «Je te donne mon corps
Comme une fleur de mille pétales
Pour décorer tes rêves »
Orcel a déjà donné des fleurs à des putes : «Si les putes n’ont pas de tombe/Je jetterai des fleurs aux trottoirs.» Mais Joubert, dans les vers cités précédemment, a donné son corps associé à l’image d’une fleur de mille pétales comme véritable figure poétique transcendante.

Musique et poésie

Toute musique n’est pas forcément de la poésie, mais la poésie est musique en elle-même. Cela ne saurait être autrement. Joubert fait office de poète et de musicien. Pourquoi dire musicien si on est déjà poète ?

«Je deviens de plus en plus poète
Guitariste à ma manière
J’ai appris à jouer
Toutes les notes de ton absence»

L’écriture

Je me souviens de Castera dans l’une de ses Cinq Lettres qui écrit ceci : «Je t’écris pour t’apprendre que j’ai longtemps parlé avec les poings serrés pour ne pas crier avec l’horizon qui fait naufrage.» C’est au tour du poète Joubert d’écrire.

«Je t’écris
Pour habiter ta solitude
En cri étouffé
Tel un écho lointain»

Le risque se fait aussi sentir en défilant dans le poème. Écrire est risqué. Aimer l’est tout aussi. Je me demande à quoi pensait vraiment Foucault quand il disait qu’il écrit pour ne plus avoir de visage. Le risque était-il trop grand ? Le risque de ne plus pouvoir être le même. L’écriture change autant que la lecture. Ne plus avoir de visage veut dire autre chose qu’une simple étiquette d’anonymat, il veut dire habiter l’absence. Vivre dans l’inexistence. Revenons à l’amour de Joubert qui, on dirait, prend sens et forme dans le risque même. Sa poésie fait corps avec l’incertitude, le doute (Je porte en moi un collier de doutes), l’amour et la beauté absolue.

«Je t’aime
Dans la pierre
Avec tout le risque
De la chute»

L’humour

A-t-on jamais questionné l’humour dans la poésie ? Rimbaud a eu le sens de l’ironie, mais là on parle du vrai sens de l’humour. G. Laraque dit de l’humour qu’il est une espèce de logique impeccable et féroce qui met à jour les bizarreries humaines et il ne s’épanouit que dans la prose (Sur La poésie, p.106). Et je crois que l’humour va au-delà de l’ironie, il peut s’incruster dans le style du poète au-delà de la logique, des normes et d’un quelconque bon sens. Cela exige de l’habileté. L’auteur de 15 poèmes pour un million d’étreintes, Joubert, en a fait preuve.

«Je te vois belle
En mille morceaux
Déroutant les rues…
Ô le printemps
Qui vient me demander
Les voyelles de ton nom…
… Ô le printemps illettré
Qui ne sait pas lire
Ta beauté…»

Complicité dans le poème

Devrais-je dire confidence ? Peut-être les deux. J’ose croire que l’amour est fait de choses interdites et aimer signifie aller au-delà. Il faut effleurer le bord parfois toucher l’extrême. Ainsi que nos fantasmes naissent et nous suivent même dans nos sommeils. Tant que l’homme est attiré par tout ce qui lui est interdit. On a peur de trahir soi-même et l’autre à la fois.

«Ne dis à personne
Si la nuit a ri
De mes fantasmes…
….Ne dis à personne
Si ma solitude se prolonge
Dans tes mains
… Léa
Ne dis à personne
Si ce poème est écrit
Avec la sève
Des arbres infidèles»

Le poème de Joubert doit être lu et relu plusieurs fois, mais à chaque lecture il faut pouvoir lire entre les lignes. Ce qui nous donnera surement l’occasion de saisir différents aspects. Cependant, un défaut casse le charme du poème, à mon juste avis, c’est la répétition. Une sorte de refrain qui alourdit la cadence du texte. Serait-ce par souci de revenir sur le titre ? Nul besoin. Que ce livre fasse son chemin !

Djedly François JOSEPH
Source : Le National
Juin 2018

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