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Il faut me sauver !

Il ne reste qu'une poussière de temps pour que la nuit étende sa robe sur la ville. Sortant de la maison à la Rue Magloire Ambroise, mon cousin me conseille d'aller faire un tour au boulevard Jean Jacques Dessalines, puisque j'ai un tas de choses à me procurer. Il me dit qu'un pauvre malheureux comme moi ne doit pas aller se faire vider les poches dans un foutu marché prestigieux, ce boulevard m'est le lieu idéal. Fraîchement arrivé à Port-au-Prince, je ne peux faire autre chose qu'écouter les conseils d'un habitué.

Arrivé au boulevard, voyant des femmes en train de se peigner l'une l'autre, à quelques mètres de la porte d'entrée du marché Hyppolite, j'ai comme l'impression que je suis dans un bordel à ciel ouvert. Je dis:
-Bon sang ! Me voilà au cœur du bonheur !
Parce que j'adore être entouré de femmes, même si elles m'ignorent, l'important c'est d'être entouré par elles, de pouvoir les contempler. Ces femmes que je crois être des putes sont pourtant des coiffeuses. C'est plutôt un studio de beauté à ciel ouvert. Port-au-Prince est une ville de brasse.

Il y a la rue grouillant de monde, jonchée d'immondices. Il y a les voitures, les camionnettes et les autobus klaxonnant à gorge déployée. Il y a les ruines des maisons abattues par le tremblement de terre de janvier 2010. Il y a les marchandes, à la voix rauque,  hélant leur commerce de toute leur force. Et des regards partant dans tous les sens. Le boulevard Jean Jacques Dessalines est un véritable théâtre de cacophonie.

Me voici séduit par mille et un visages féminins. Il est de ces femmes qu'on ne peut s'empêcher de regarder en se mordillant les lèvres. Oui, parfois il faut laisser jouir son deuxième sens. Parce que nos yeux, eux aussi, ont droit au bonheur. Et en ma qualité d'esthète, j'adore les femmes aux beaux seins, cul  bombé, visage innocent, cheveux crépus... Ces femmes à la peau d'ébène méritent presque tout l'amour du monde.

Voici venu le temps d'apprécier le regard appuyé d'une petite fille de la vingtaine. Enfoncée dans sa petite robe rose. On dirait la déesse de la beauté se pavanant un beau jour de Saint-Valentin. Yeux écarquillés portant dans ses cheveux des morceaux de nuages tombés du ciel. Sa poitrine est tellement bien faite, j'ai comme l'impression que c'est la figure géométrique la plus accomplie de toute l'histoire de l'humanité. Je regarde le soleil caressant la forme de ses lèvres pulpeuses. Tout en me disant que cette fille, c'est un chef-d'œuvre que le bon Dieu a fait de ses propres mains. Ça m'arrive souvent d'être tombé amoureux d'un simple geste, d'un sourire inattendu, d'une gencive violette, d'un salut élégant. Mais ce jour c'est tout à fait spécial. J'ai la sensation d'avoir une plus grande estime en regardant cette petite fille. Et quand nos regards se croisent elle me sourit en me faisant un signe avec son œil gauche. Il n'y a pas de plus belle aventure que ça quand il y a complicité entre un malade comme moi et une si belle inconnue. Cette petite est un poème ambulant. Elle est gravement belle. C'est une véritable sirène en visite à Port-au-Prince.

Perdu dans son regard, je ne regarde plus où je dépose les pieds. Je marche avec la tête accrochée aux courbes de son corps. Et elle ne cesse de me montrer ses petites dents blanches en souriant. Comme si on se connaissait déjà. Comme si elle avait plus envie de me parler que j'en avais l'envie moi-même. Quel bonheur ! J'ai la chair de poule et mon cœur bat tellement fort qu'il veut, à tout prix, sortir de ma cage thoracique. Alors que toute la beauté de son corps prend mes yeux et tous mes autres sens en otage j'entends une voix disant
-Attention !
C'est à cet instant que je réalise que je suis à quelques centimètres d'un égout ayant la bouche grande ouverte tel un caïman. Je faillis m'y jeter en me laissant emporter par sa tendre beauté. Je suis vraiment malade !

Joubert Joseph

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